LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 juillet 2021 par le Conseil d'État (décision n° 451174 du 5 juillet 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Pierre-Étienne R.. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-938 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 80 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi du 20 février 1922 sur l'exercice de la profession d'avocat et la discipline du barreau en Alsace et Lorraine ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations en intervention présentées par l'association Institut du droit local alsacien-mosellan, enregistrées le 23 juillet 2021 ;
- les observations présentées pour le requérant par Me Orianne Andreini, avocate au barreau de Strasbourg, enregistrées le 3 août 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 août 2021 ;
- les observations en intervention présentées pour l'ordre des avocats au barreau de Colmar et autres par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations en intervention présentées pour l'ordre des avocats au barreau de Colmar et autres par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 19 août 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Andreini, pour le requérant, Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'ordre des avocats au barreau de Colmar et autres, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 5 octobre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 80 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus prévoit :
« La présente loi sera applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, à l'exception du chapitre V de son titre Ier, et sous réserve du maintien des règles de procédure civile et d'organisation judiciaire locales ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions de maintenir les règles de tarification des honoraires de postulation des avocats applicables en Alsace-Moselle alors que, dans le droit commun, la loi du 31 décembre 1971 prévoit, depuis sa modification par la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus, la libre fixation de ces honoraires. Ce faisant, d'une part, ces dispositions auraient pour effet d'accroître de façon injustifiée la différence de traitement entre les justiciables selon la compétence territoriale de l'avocat postulant, en méconnaissance du principe d'égalité devant la justice. D'autre part, elles laisseraient applicables en Alsace-Moselle des règles complexes de fixation de ces honoraires, entraînant des frais excessifs pour les justiciables, en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. Pour les mêmes motifs, il fait valoir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes exigences.
3. La loi du 31 décembre 1971 prévoit les règles relatives à la profession d'avocat. Son article 80 les rend applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, sous réserve du maintien des règles de procédure civile et d'organisation judiciaire locales au nombre desquelles figurent celles relatives à la tarification des honoraires de postulation des avocats.
4. Ainsi, s'appliquent dans ces départements des règles de tarification des honoraires de postulation des avocats différentes de celles du droit commun.
5. Toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur. À défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et où leur champ d'application n'est pas élargi.
6. Or, les dispositions contestées se bornent à maintenir des règles particulières à ces départements antérieures à 1919 et demeurées en vigueur par l'effet de la loi du 20 février 1922 mentionnée ci-dessus.
7. Au demeurant, la loi du 6 août 2015 n'a modifié que les règles de droit commun de tarification des honoraires de postulation et n'a ainsi apporté aucun aménagement à celles particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Il ne saurait donc être utilement soutenu que cette dernière loi aurait accru les différences de traitement qui résultent de ces règles particulières.
8. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice ne peut qu'être écarté.
9. Par ailleurs, les dispositions contestées, qui ne fixent pas les conditions de postulation des avocats dans ces trois départements, ne portent par elles-mêmes aucune atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
10. Par conséquent, ces dispositions, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 80 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 octobre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 15 octobre 2021.